Ci-dessous un exemple de rédaction complète d’un commentaire d’arrêt en droit administratif sur la décision du Tribunal des Conflits du 21 mars 2005 « Alberti-Scott ».
Mon commentaire d’arrêt n’est qu’un exemple et m’a valu une note de 13/20 en deuxième année de droit. Vous pouvez vous en inspirer à loisir.
N’hésitez pas à faire part sur ce site de vos commentaires et suggestions. J’aurais le plaisir à vous répondre.
Sommaire
Commentaire d’arrêt – TC, 21 mars 2005, Mme Alberti-Scott
Dans les conclusions de l’arrêt Blanco de 1873, le commissaire du gouvernement David écarte la compétence judiciaire et l’application du droit commun, alors même qu’il s’agit « d’une manufacture de tabacs qui a une grande ressemblance avec une industrie privée ». La notion de gestion privée d’un service public a beaucoup évolué depuis 1873. En effet, depuis l’arrêt Société commerciale de l’Ouest africain (TC, 22 janvier 1921), on a admis que certains services publics pouvaient fonctionner sous le régime de la gestion privée. Cet arrêt dégagera la notion de SPIC (Services publics industriels et commerciaux) qui s’opposera aux SPA (Services publics administratifs).
Cette différenciation n’est pourtant pas simple à identifier. La décision Mme Alberti-Scott rendu par le Tribunal des conflits le 21 mars 2005 en est l’exemple. Mme Alberti-Scott souhaite obtenir le remboursement des frais de pose d’un compteur d’eau. Pour cela, elle saisit le tribunal de grande instance de Nice qui se déclara incompétent. Elle saisit ensuite le tribunal administratif de Nice qui renvoya l’affaire devant le tribunal des conflits afin qu’il statue sur la compétence des deux ordres de juridictions (Administratif ou judiciaire). Le tribunal des conflits déclarera que ce litige relève de la compétence des tribunaux judiciaires.
Pour déclarer la compétence du juge judiciaire, il est intéressant de s’interroger sur la méthode utilisée par le juge afin que le service public de distribution de l’eau soit reconnu comme un SPIC.
Tout d’abord juge du tribunal des conflits va s’éloigner de la jurisprudence antérieure qui définit les critères de distinction entre SPA et SPIC (I). Pourtant, cela ne l’a pas empêché de déclarer le service public de distribution de l’eau comme un SPIC (II).
I – L’éloignement du juge vis-à-vis des critères énoncés par la jurisprudence antérieure
Afin de comprendre la méthode utilisée par le juge du tribunal des conflits dans cette décision, il est important de s’intéresser à la jurisprudence antérieure (A) puis d’observer l’application qui en est faite (B).
A – Les critères dégagés dans la jurisprudence antérieure
Le service public représente une activité d’intérêt général, sous le contrôle de l’administration et soumise à un régime juridique particulier. Cette notion a été particulièrement développée par « l’école du service public » fondée par quelques auteurs dont Gaston Jeze et Léon Duguit. Pour eux, il ne peut pas exister différentes catégories de service public. Elles sont toutes régies par le droit administratif et relèvent de la compétence de la juridiction administrative. Cependant, cette pensée sera remise en question à partir du 20ᵉ siècle. En effet, un service public va pouvoir se voir attribuer un régime juridique de droit commun. Depuis l’arrêt Blanco (TC, 8 février 1873), la question s’est posée. Peut-on accorder un régime juridique privé à certains services publics ? L’arrêt Société commerciale de l’Ouest africain (TC, 22 janvier 1921) affirme que certains services publics ont un fonctionnement qui se rapproche de celui d’une entreprise privée, et dégage la notion de SPIC.
Afin de les différencier des SPA, l’arrêt Union Syndicale des industries aéronautiques (CE, 16 novembre 1956) apporte une innovation. Cet arrêt va dégager trois critères qui permettront aux juges lors des prochains litiges de pouvoir faire plus facilement la distinction. Les trois critères que le juge doit observer sont l’objet du service, les modalités de financement et les modalités de fonctionnement. Dans un premier temps, la distinction n’a pas à se faire via ces critères si la loi donne une qualification à un service public, car elle s’impose au juge. Par exemple, les remontées mécaniques et pistes de ski (loi du 9 janvier 1985 – Art. L. 342-13 C. Tourisme) dans l’arrêt Mme Ferry c. Syndicat mixte des stations de l’Audibergue et de Gréolières (TC, 6 avril 2009). Les critères peuvent être utilisés que lorsque qu’aucun texte ne donne une qualification à un service. Par exemple en l’espèce pour le service de distribution de l’eau. Cependant, ce service obtiendra une qualification législative dans la loi du 30 décembre 2006 (art. L. 2224-11 CGCT).
La jurisprudence antérieure a apporté des critères importants afin d’identifier un SPIC. Dans cette décision, le juge en fera une application partielle.
B – Une appréciation du juge critiquable concernant les modalités de financement et de fonctionnement
Deux des critères énoncés ci-dessus seront utilisés partiellement par le juge dans cette décision. Il s’agit des modalités de financement et de fonctionnement. L’origine des ressources est facilement identifiable pour faire la distinction. Pour que le service public soit reconnu comme un SPIC, il faut que les ressources proviennent d’une redevance versée par les usagers en contrepartie d’un service. Au contraire, l’origine des ressources d’un SPA provient des recettes fiscales ou des subventions (CE, 20 janvier 1988, SCI La Colline). Le juge du tribunal des conflits précise dans cet arrêt que le service de distribution de l’eau est un service public industriel et commercial, même « si le prix facturé à l’usager ne couvre que partiellement le coût du service ». Il précise en expliquant que le prélèvement sur les usagers est « une redevance tenant compte de leur consommation d’eau mesurée par les compteurs installés à l’initiative de la commune ». Le juge conclu en disant que ce service public est industriel et commercial « nonobstant la circonstance que ces redevances ne couvriraient qu’une faible partie du coût annuel du service ». Autrement dit, la redevance payée par l’usager du service de distribution de l’eau ne couvre que partiellement le coût du service. Le juge ne fait pas alors une réelle application du critère sur l’origine des ressources. Car si l’on considère que le service de distribution de l’eau fonctionne sous le régime de la gestion privée, il faut que le prix couvre le prix du service rendu.
Le second critère concerne les modalités de fonctionnement d’un SPIC. Celui-ci a plusieurs obligations à remplir pour être considéré comme tel. Tout d’abord, il ne doit pas être un service gratuit. Il doit pouvoir faire des bénéfices comme toute entreprise privée (CE, 26 juillet 1930, Benoit). De plus il ne doit pas être exploité en régie directe. C’est-à-dire que le service ne doit pas être pris en charge directement par l’administration. En l’espèce, le juge déclare que le service de distribution de l’eau est un SPIC même s’« (il) est géré en régie par la commune, sans disposer d’un budget annexe ». Il poursuit en expliquant que « la commune de Tournefort, qui exploite en régie un service de distribution d’eau non doté d’un budget annexe, prélève à ce titre sur les usagers une redevance tenant compte de leur consommation d’eau mesurée par les compteurs installés à l’initiative de la commune ». Cela démontre que le service de distribution de l’eau est géré directement par la commune qui inclut dans son budget communal les recettes et les dépenses de celui-ci. Cela le rapprocherait plus d’un service de l’administration. Pourtant, ce n’est pas un problème pour le tribunal des conflits qui avait déjà admis le 14 mai 1990 qu’un SPIC pouvait être régie directement (CE, Epoux Laperrouze).
Les deux premiers critères établis par la jurisprudence Union syndicale des industries aéronautiques concernant les modalités de financement et de fonctionnement n’ont pas été respectés concrètement par le juge du tribunal des conflits. Cependant, ça ne lui a pas empêché de déclarer le service de distribution de l’eau comme un SPIC.
II – La reconnaissance par le juge du service public de distribution de l’eau comme un SPIC
Le juge utilisera le critère de l’objet qui sera déterminant pour sa décision (A) et pourra appliquer le régime juridique qui convient (B).
A – L’utilisation déterminante du critère de l’objet par le juge
Dans l’arrêt Union syndicale des industries aéronautiques (CE, 16 novembre 1956), le Conseil d’État fait référence au critère de l’objet pour identifier un service public qui serait industriel et commercial. L’objet du service « consiste à déterminer les opérations par lesquelles se manifeste l’exécution du service » (Cf. Droit administratif et Institutions administratives, Marie-Christine Rouault). Pour qu’un service soit reconnu comme SPIC, il faut que son objet ressemble à une activité d’une entreprise privée. Par exemple, l’exploitation d’une piste de ski (CE, 19 février 2009, Mlle Beaufils et M. et Mme Beaufils). En l’espèce, le juge dispose que « le service public de distribution de l’eau est en principe, de par son objet, un service public industriel et commercial ». Le juge considère alors que l’objet est déterminant dans la qualification du service de distribution de l’eau comme SPIC. Pour lui, le service de distribution d’eau est considéré comme un service pouvant appartenir à une entreprise privée. Même si le critère de l’objet est retenu, il n’en demeure pas moins que les trois critères doivent être cumulatifs. Cependant, cette décision va retenir qu’un seul critère, l’objet, pour déterminer si le service de distribution de l’eau est industriel et commercial. Les deux autres critères ne seront pas utilisés par le juge. Cela montre que le juge ne respecte pas entièrement la jurisprudence antérieure et que pour lui l’objet est l’élément déterminant pour définir un SPIC. Afin que cette décision soit reconnue, il évoque tout de même les autres critères, à savoir, la redevance et la régie du service de distribution d’eau.
En déclarant le service public de distribution de l’eau comme un SPIC, le juge attribue la compétence aux tribunaux judiciaires.
B – La compétence de la juridiction judiciaire prononcée par le juge
Il existe des règles communes à tous les services publics, que l’on soit dans un SPA ou dans un SPIC. Ces règles communes sont les grandes lois du service public, autrement appelées les « Lois de Rolland ». Il y a tout d’abord le principe d’égalité, qui fait référence à une neutralité religieuse quant au traitement des usagers. Puis, le principe de continuité, qui consiste à un fonctionnement régulier du service public. Enfin, le principe de mutabilité qui insiste sur le fait que les services doivent s’adapter aux nouvelles conditions technologiques.
Toutefois, un régime juridique particulier s’applique aux SPIC. Dans son premier considérant, le juge déclare « que les litiges nés des rapports entre un service public industriel et commercial et ses usagers, qui sont des rapports de droit privé, relèvent de la compétence des juridictions judiciaires ». En effet, les régimes juridiques applicables sont différents pour les services publics industriels et commerciaux et les services publics administratifs. Comme le précise le juge dans son considérant, les litiges entre des usagers et les SPIC relèvent toujours du droit privé, et donnent lieu de la compétence des tribunaux judiciaires (Civ 1ère. 20 juin 2006). Cette compétence est la même, même si l’usager est une personne publique (CE, 4 novembre 2005, Ville de Dijon). En revanche, si un règlement émane d’une personne morale de droit privé gérant un SPIC, il a un caractère administratif dès lors qu’il concerne l’organisation de ce service. C’est le juge administratif qui constatera la légalité du règlement (TC, Epoux Barbier, 15 janvier 1968). En l’espèce, les exceptions ne s’appliquent pas. En déclarant que le service de distribution de l’eau est un SPIC, le juge fait une bonne application du régime juridique.
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Moi qui n’arrive pas à suivre en administratif, je trouve ce commentaire excellent et la note trop basse pour les connaissances apportées dans la rédaction. Les professeurs de droit administratif sont vraiment sévères…
13 novembre 2020 Syndicat Intercommunal d’adduction d’eau potable
C’est du bon travail au moins un 15
Merci 🙂