Être détenu ne signifie pas pour autant absence de droits au travail. De nombreux principes, textes légaux viennent rappeler le principe d’égalité en détention et organisent le cadre légal du travail. Pourtant, concrètement, il en va différemment du statut des détenus au travail dans les prisons françaises. Le travail du détenu se caractérise déjà par l’absence de contrat de travail. Son salaire est bien inférieur au SMIC (1,92 € à 4,32 € l’heure) et il ne bénéficie d’aucun droit social (protection sociale, retraite, congés, etc.) normalement rattachés au travail d’un salarié.
Sommaire
Le principe d’égalité en détention
CC, QPC, 14 juin 2013, MT Yacine et autres, n° 2013-320/321
- Considérant qu’aux termes de la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du Code de procédure pénale : « Les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail » ;
- Considérant que, selon les requérants, en excluant que les relations de travail des personnes incarcérées fassent l’objet d’un contrat de travail, sans organiser le cadre légal de ce travail, le législateur prive ces personnes de toutes les garanties légales d’exercice des droits et libertés reconnus par les cinquièmes à huitième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu’en outre, ces dispositions porteraient une atteinte manifeste au principe d’égalité et au respect dû à la dignité des personnes ;
- Considérant qu’aux termes du cinquième alinéa du Préambule de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances » ; qu’aux termes du sixième alinéa : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix » ; que le septième alinéa prévoit que « le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent » ; que le huitième alinéa dispose que « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises » ;
- Considérant que, d’une part, le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; que la sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d’asservissement et de dégradation est au nombre de ces droits et constitue un principe à valeur constitutionnelle ; que, d’autre part, l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ; qu’il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d’exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne ;
- Considérant, d’une part, que les principales règles législatives relatives aux conditions de travail des personnes détenues figurent dans l’article 717-3 du Code de procédure pénale ; que le premier alinéa de cet article prévoit que les activités de travail ainsi que les activités de formation sont prises en compte pour l’appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés ; qu’en vertu de son deuxième alinéa, au sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité professionnelle, une formation professionnelle ou générale aux personnes incarcérées qui en font la demande ; que le troisième alinéa, outre qu’il prévoit que les relations de travail ne font pas l’objet d’un contrat de travail, précise qu’il peut être dérogé à cette règle pour les activités exercées à l’extérieur des établissements pénitentiaires ; que le quatrième alinéa prévoit que les règles relatives à la répartition des produits du travail des détenus sont fixées par décret et que le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire ; qu’en vertu du dernier alinéa, la rémunération des personnes détenues ne peut être inférieure à un taux horaire fixé par décret et indexé sur le salaire minimum de croissance prévu par le Code du travail, ce taux pouvant varier en fonction du régime sous lequel les personnes détenues sont employées ;
- Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 susvisée : « L’administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et l’exercice de ceux-ci ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l’intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l’âge, de l’état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue » ;
- Considérant que l’article 33 de la même loi prévoit, en outre, que la participation des personnes détenues aux activités professionnelles organisées dans les établissements pénitentiaires donne lieu à l’établissement par l’administration pénitentiaire d’un acte d’engagement, signé par le chef d’établissement et la personne détenue ; que cet acte énonce les droits et obligations professionnels de celle-ci ainsi que ses conditions de travail et sa rémunération et précise notamment les modalités selon lesquelles la personne détenue, « nonobstant l’absence de contrat de travail », bénéficie des dispositions relatives à l’insertion par l’activité économique prévues aux articles L. 5132-1 à L. 5132-17 du Code du travail ;
- Considérant qu’il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ; que, toutefois, les dispositions contestées de la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du Code de procédure pénale, qui se bornent à prévoir que les relations de travail des personnes incarcérées ne font pas l’objet d’un contrat de travail, ne portent, en elles-mêmes, aucune atteinte aux principes énoncés par le Préambule de 1946 ; qu’elles ne méconnaissent pas davantage le principe d’égalité ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ;
- Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les dispositions de la première phrase du troisième alinéa de l’article 717-3 du Code de procédure pénale doivent être déclarées conformes à la
— À propos de la décision n° 2015-485 QPC : les détenus ne sont pas des travailleurs comme les autres [acte II] — Manon Ghevontian — Constitutions 2015. 564
Il est indéniable que le Conseil constitutionnel a su, maintes fois, être l’artisan de décisions audacieuses et habilement motivées. Il sait l’être encore. À la lecture de la 2015-485 QPC pourtant, l’on ne peut que s’interroger sur la récente inhibition dont il fait preuve, particulièrement lorsque la matière pénale est en jeu.
Le travail en prison fit, en 2013, l’objet d’une QPC qui donna lieu à une décision de conformité. La décision fut très commentée par la doctrine, de façon souvent critique. La cohésion doctrinale ne faiblit pas à l’annonce d’une nouvelle QPC déposée à ce propos en 2015 au point, chose fort rare, que près de 400 universitaires signèrent une pétition en faveur des droits des travailleurs détenus. Cette QPC portait sur l’article 33 de la loi pénitentiaire de 2009.
Du point de vue de la décision 2013-320/321 QPC, la 2015-485 QPC a le mérite de la stabilité. Loin de bouleverser le raisonnement qui fut le sien en 2013, le Conseil constitutionnel s’en remet ici encore au pouvoir législatif. Il reproduit, en son considérant 4, le considérant 5 de la décision de 2013-320/321 QPC, qui rappelle les objectifs de la peine privative de liberté et précise qu’il appartient au législateur d’en fixer les modalités. Sa position ne varie pas plus lorsqu’il prévoit, au considérant 11 de la décision ici commentée, qu’« il est loisible au législateur de modifier les dispositions relatives au travail des personnes incarcérées afin de renforcer la protection de leurs droits ». Enfin, la solution est, dans les deux cas, une déclaration de conformité.
La décision n° 2015-485 QPC ne pèche pas par excès de démonstration. Les considérants y sont peu nombreux et pour la plupart concis. Or l’usage de l’imperatoria brevitas, s’il peut conférer une grande force persuasive à la décision constitutionnelle, donne ici lieu à une décision laconique, donc peu convaincante du strict point de vue juridique. Le grief tiré de l’incompétence négative du législateur n’est pas retenu par les juges, puisque « (…) en renvoyant à [P]acte d’engagement le soin d’énoncer les droits et obligations professionnels du détenu, dans des conditions qui respectent les dispositions de l’article 22 de la loi du 24 novembre 2009 et sous le contrôle du juge administratif, les dispositions contestées ne privent pas de garanties légales les droits et libertés énoncés par les 5e à 8ᵉ alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 » (consid. 11). Ce renvoi à l’article 22 de la loi de 2009 est déconcertant : le lecteur peut ici avoir le sentiment que l’inconstitutionnalité potentielle de la disposition en cause est couverte a priori par des dispositions non pas constitutionnelles, mais simplement législatives ! N’aurait-il pas été approprié de mener une étude sur l’adéquation entre cet article et celui qui était contesté en l’espèce plutôt que de poser in abstracto le principe d’une disposition visant à prévenir les risques d’inconstitutionnalité ? Les juges auraient ainsi pu constater que l’acte d’engagement tel que prévu par l’article 33 de la loi de 2009 ne garantit pas en lui-même le respect des droits et libertés des détenus. Cela révèle une interrogation plus générale : dans le milieu carcéral, faut-il admettre que la loi suffit à assurer le respect des droits des détenus ? La prison serait alors une « zone de non-droit » social, mais aussi constitutionnel. Le fait que l’acte d’engagement soit placé sous le contrôle du juge administratif (consid. 11) ne comble pas cette carence. Certes, celui-ci impose des limites à la violation des droits et libertés du détenu, mais la loi de 2009 ne leur offrant aucune densité, on peut douter de l’efficacité de ce contrôle. La décision est d’autant plus contestable qu’en l’espèce, le juge constitutionnel aurait tout à fait pu reproduire le raisonnement qui avait été le sien dans sa récente décision 2014-393 QPC et selon lequel l’incompétence négative du législateur prive de garanties légales les droits et libertés des détenus ?
Le juge constitutionnel, du fait de l’économie de moyens argumentatifs utilisés, semble ici procéder par affirmation plus que par démonstration. C’est cette fois les Sages qui semblent méconnaître l’étendue de leur compétence… Ces insuffisances ne permettent pas d’emporter l’adhésion des lecteurs. Plus encore, cela conforte la faiblesse effective des droits et libertés en milieu carcéral. L’absence de véritable statut social du détenu n’est que la partie visible d’un problème de fond. Quel sens souhaite-t-on donner à la peine ? La question de la réinsertion n’est nulle part évoquée, alors qu’elle a valeur constitutionnelle depuis 1994. Le travail en prison devrait en être le levier fondamental. Or, il est difficile d’imaginer une réinsertion effective du détenu lorsque celui-ci est intégralement mis à l’écart des règles du droit du travail. Aujourd’hui, force est de constater que « le travail en prison (…) apparaît avant tout comme un instrument de gestion de la détention »(12). La décision illustre une tendance contemporaine avérée : celle de la primauté des exigences d’ordre public et du caractère rétributif de la peine sur les objectifs de réinsertion et d’amendement dans le milieu carcéral.
Depuis 1994, la privation des droits civiques — donc du droit de vote — n’est, en effet, plus automatique, sauf dans un cas : celui des personnes exerçant des fonctions publiques ayant été convaincues de corruption passive, de trafic d’influence, de favoritisme ou de prise illégale d’intérêt. Dans ce cas, la privation des droits civiques ne peut pas excéder cinq ans. Pour le reste, il revient au juge de décider d’assortir une peine d’une privation de droits civiques, celle-ci ne pouvant excéder dix ans pour un crime et cinq ans pour un délit.
Au dernier trimestre 2006, les détenus nouvellement inscrits sur les listes électorales n’étaient que 500, selon le ministère de la Justice. C’est que, pour continuer à participer à la vie publique, le détenu doit s’armer de courage et de persévérance.
L’information sur les droits civiques des prisonniers existe pourtant. Il s’agit même d’une obligation pour la direction de l’administration pénitentiaire (DAP).
Pour la présidentielle 2007, comme à chaque élection, la DAP a adressé, en septembre 2006, une note de service à toutes les directions d’établissement sur les conditions nécessaires au droit de vote des prisonniers.
« Cette note ne dit rien des modalités pratiques de l’exercice du droit de vote comme, par exemple, le lieu où le détenu peut s’inscrire ou comment trouver un mandataire en cas de vote par procuration », déplore toutefois Marie Cretenot, de l’Observatoire international des prisons (OIP).
Ce n’est qu’après la clôture des inscriptions sur les listes électorales que la DAP a émis, le 28 février, une note plus complète, spécifiant aux fonctionnaires des prisons les démarches à suivre pour établir avec les mairies la liste de mandataires.
» À partir du moment où l’étape de l’inscription sur les listes électorales a été ratée, l’information sur les procurations et la campagne d’affiches, en couleur, incitant les prisonniers à voter, tombe à plat « , dénonce Marie Cretenot.
Pour l’immense majorité des personnes incarcérées, le chemin de la cellule à l’urne est semé d’embûches. D’abord, le prisonnier doit avoir, avec lui, ses papiers d’identité. S’il les a perdus ou s’ils ne sont plus en cours de validité, « le détenu doit faire venir un fonctionnaire de la préfecture, qui ne se déplace pas toujours facilement… Puis, il faut faire venir un photographe ou obtenir une permission de sortie, ce qui n’est pas simple. Quant à recourir à un travailleur social, cela peut aussi prendre du temps », explique Marie Cretenot.
Il faut ensuite identifier le lieu de vote et s’y inscrire. Or, qu’elle soit ou non inscrite dans son ancien lieu de résidence, une personne qui a passé six mois » derrière les barreaux » voit son lieu de détention devenir sa résidence principale, selon le Code électoral. Dans ce cas, elle peut s’inscrire à la mairie dont dépend le centre d’incarcération.
Fin de la 1ʳᵉ partie sur le statut des détenus au travail dans les prisons françaises
Tous les articles d’Élisa sur la vie en prison et le statut des détenus au travail
Acheter le livre d’Isabelle Rome — Dans une prison de femmes : une juge en immersion
Cliquer sur l’image pour commander le livre d’Isabelle Rome sur Amazon :
La colère et la lassitude exprimées par les surveillants pénitentiaires, durant ces derniers mois, nous ont rappelé à tous que la prison, ce n’est pas seulement des murs et des barreaux. La prison, c’est aussi une histoire d’humanités. De destins croisés, de journées et de longues nuits partagées, une promiscuité parfois insupportable. Une communauté de vie qui s’impose au-delà des statuts et des différences. Malgré la surpopulation, malgré la violence presque quotidienne et l’oubli fréquent de ceux qui sont à l’extérieur. Il faut ici coexister. Isabelle Rome, nommée, à vingt-trois ans, juge de l’application des peines à Lyon, a arpenté les coursives de nombreuses maisons d’arrêt et connaît cette réalité. Citoyenne engagée pour les droits des femmes, elle a voulu aller plus loin encore et donner la parole à des détenues et des surveillantes de la maison d’arrêt des femmes de Versailles, où elle a enquêté pendant près d’une année. Chez les surveillantes de ce huis clos exclusivement féminin, Isabelle Rome a retrouvé le même sentiment d’isolement que chez celles qui y sont enfermées. Loin de toute démagogie, elle pose cette question : se satisfaire d’une prison fermée sur elle-même, échouant à remplir sa mission de réinsertion, n’est-ce pas reléguer détenues, personnel pénitentiaire et, finalement, l’ensemble de notre justice « à l’ombre de la République » ? Elle lance de nouvelles pistes de réflexion sur le système pénal et pénitentiaire, en faisant des propositions concrètes tendant à assurer plus de dignité à tous, à favoriser la réinsertion des détenus et à œuvrer pour une meilleure reconnaissance du personnel qui en assurent la garde.
Votre avis sur le statut des détenus au travail dans les prisons françaises m’intéresse :
Dites-le-moi dans les commentaires. Merci.